Voilà m'dame !
4. Les doyennes
Ma détermination augmentait chaque seconde, le besoin de savoir s'était emparé de mon être tout entier, il fallait que je saches, que la vérité éclate au grand jour. Mais quelle vérité ? Et si elle n'avait rien découvert ? Et si c'était pour cette raison qu'elle était devenue folle ?... Non, il ne faut pas perdre espoir, les réponses sont là, devant moi. Il suffit que je tende la main pour les attrapées. Rien de plus. Il faut espérer que ma main soit assez grande.
Les doyennes étaient prêtes à me recevoir ce jour même. Ce serait un premier pas.
« Naraya ? »
Ma mère. Elle voulait savoir ce que je faisais, enfermée dans ma chambre depuis des heures, à écrire dans mon petit carnet tout ce que je savais et les questions que je poserais. Mais elle ne devait pas savoir ce que je cherchais, elle refuserais de me laisser poursuivre mes recherches. J'ai donc précipitamment placé mon carnet sous mes draps, avant qu'elle n'entre dans ma chambre et me regarde. J'étais immobile, assise sur mon lit.
« Quoi ? »
Elle m'observa, je pouvais voir les rides qui s'étaient creusées sur le chemin de ses larmes. Elle avait toujours ses cheveux blonds nattés. Elle avait mi sa longue robe bleue, c'était une robe simple d'un bleu neutre. Elle était jolie avec, tout simplement jolie.
« Tu... Qu'est-ce que tu fais ?
- … Rien... Tu as besoin d'aide ? »
Son regard me scruta, comme si elle savait pertinemment ce que je faisais quelques minutes avant son arrivée, et ce que je prévoyais de faire ensuite. Je m'en voulu un peu de lui mentir ainsi, ce n'était pas dans mes habitudes et elle souffrait déjà bien assez.
« Non, je voulais juste savoir ce que tu faisais toute seule. »
Sans un mot de plus, elle sortit et repartit au salon. Un nœud me serra le ventre, elle avait l'air si... tellement ailleurs. Les morts prennent plus de place que les vivants. Elle ne me parlait quasiment plus depuis la mort de ma sœur, comme si ce fut un crime. J'en aurais pleuré si je n'avais pas cette détermination qui bouillait au fond de moi.
Il ne restait plus beaucoup de temps à attendre avant de pouvoir parler aux doyennes. Je révisais donc mes questions, il me faudrait avoir l'air naturelle.
Premièrement, demandez ce que voulait Laëlys, ensuite, les questionnées sur l'étrangère qu'on avait appelé sorcière et sur la pierre qui se trouvait à l'entrée de la forêt.
Ce serait déjà un bon début, et pour le reste, on improviserait.
Il était temps, j'ai pris ma bourse en peau de daim et y ait mis mon carnet, et mon crayon. Après avoir enfilé mon manteau, je suis sortie sans un regard vers ma mère qui ne m'avait même pas vue passer sous ses yeux.
Il faisait frais dehors, l'automne était là et les feuilles mortes couvraient les abords de la forêt. Bientôt ce serait l'hiver et la neige couvrirait le village.
L'habitation où se trouvaient les doyennes était la plus éloignée du village. En bois, elle craquait sous le vent mais n'avait pas perdue son charme. C'était une belle maison, grande, avec un étage et une grande cheminée. Je n'y étais jamais entrée, les doyennes préféraient la salle commune pour parler aux villageois.
Non sans peur, j'ai gravis les marches du perron et me suis arrêtée devant la porte. J'ai toqué, à deux reprises. Pas de mouvements, rien. L'idée de rebrousser chemin me traversa l'esprit, mais je m'y refusais et renouvelais mon essai. Il y eût un bruit et la porte s'ouvrit en grinçant. La personne qui m'ouvrit devait avoir sept ou huit an, c'était une petite fille brune aux cheveux ébouriffés et au sourire rieur. Ses yeux marrons pétillaient. Je ne l'avais jamais vue auparavant et mon étonnement fut intense, tout le monde se connaissait au village. Je suis restée un moment immobile, encore sous le choc quand l'une des doyennes apparut au bout du couloir qui se trouvait à l'intérieur. Elle était toute maigre et ridée, avec le dos courbé. Son regard me fit peur, on aurait dit qu'elle voulait massacrer le village entier par un seul regard. Ses cheveux blancs étaient attachés en chignon et le noir de ses yeux pénétrant.
« Maëlle ! Vas dans ta chambre immédiatement. »
La petite fille se retourna et partit en courant. Je n'avais même pas entendu sa voix. Je ne bougeais toujours pas, cette vieille femme me faisait peur, ce n'était pas l'une des doyennes qui faisaient parties du conseil. Je ne l'avais jamais vue non plus. Combien de personnes se cachaient encore ?
« Et toi, qu'est-ce que tu attends pour rentrer ?! »
Je lui jetais un regard étonné, c'était à moi qu'elle s'adressait apparemment, vue que j'étais seule devant la porte. La peur au ventre, je suis entrée et ait refermé la porte. La vieille femme avait déjà disparue à travers le nombres innombrables de couloirs de la maison. Elle ne paraissait pas si grande de dehors.
Je marchais dans les couloirs, à la recherche des doyennes du conseil, mais la maison avait l'air vide, aucun bruit n'en sortait, la seule chose que j'entendais était le craquement de mes pas sur le sol. Plus j'avançais plus ma peur grandissait, la maison semblait sans fin et je ne savais même plus où se trouvait la sortie. Mais qu'est-ce que c'était que cet endroit ? J'ai erré longtemps dans les méandres de la maison, à la recherche de quelqu'un, je me sentais terriblement seule.
Au détour d'un couloir, une jeune femme marchait dans ma direction, je poussais un cri d'étonnement. La femme s'arrêta brusquement, étonnée. Elle portait un bac de linge sur sa tête. Mon cœur avait cessé de battre. Son visage... Il portait une longue cicatrice qui partait du haut de son front et déchirait son visage jusqu'au menton, trois cicatrices. On aurait dit qu'elle s'était faite griffée par un ours. Elle devait être jolie avant, surtout avec ses beaux cheveux blonds et ondulés. Quand l'étonnement fut passé, elle s'approcha de moi.
« Tu dois être Naraya. Les doyennes t'attendent, qu'est-ce que tu faisais ? »
Elle avait un ton légèrement agacé. Je n'ai rien répondu, intimidée. Elle a sembler encore plus énervée par mon silence.
« Allez, suis moi. »
Je l'aie suivie sans un mot, j'avais un peu honte de mon comportement.
« Je suis désolée, je ne voulais pas...
- Laisses, y'a pas de mal. Je m'appelle Élise.
- Ha, c'est joli Élise. »
Notre conversation s'arrêta là. Elle ne dit rien de tout le chemin et me conduit devant une porte, tout aussi identique que les autres.
« C'est là. Entre. »
Et elle partit sans un mot de plus. Un peu décontenancée, je ne savais plus tellement quoi penser. Qui étaient toutes ces femmes inconnues ? Encore une question de plus.
Avec un peu d'hésitation j'ai tourné la poignée de la porte et suis entrée. La pièce n'était pas très grande, sans décorations, comme le reste de la maison. Il y avait un bureau, vide, et derrière Olis, l'une des doyennes du conseil.
Quand elle me vit, son visage ridé esquissa un mince sourire.
« Cela faisait longtemps. Assieds-toi. »
Sans comprendre à quoi elle faisait allusion je me suis assise sur le fauteuil qui faisait face au bureau. Ses yeux noirs étaient assez intimidants, si ma motivation n'avait pas été si grande, je me serais enfuie depuis longtemps. Ses mains raidies par les années tremblaient légèrement, posées sur le bureau.
« Hé bien, que nous vaut ta visite ? »
Un peu perdue, je ne savais pas très bien par où commencer.
« À vrai dire, j'aurais des questions à vous posé.
- Je t'écoutes.
- … Une petite fille m'a ouvert la porte, qui était-ce ? Je crois qu'elle s'appelait Maëlle. »
Le regard de la doyenne s'arrêta, son sourire n'avait pas changé, elle était immobile et ses pensées étaient passées sous clefs.
« Cette petite fille est une orpheline que l'on a découverte dans la forêt. »
Je suis restée un moment sans bouger, j'essayais de repasser cette phrase dans ma tête, que disait-elle donc ?
« Tu ne dois pas être au courant, je suppose, de la fonction de cette maison. »
Je la fixais, perdue. Une fonction ?
Voyant mon incrédulité, elle poursuivit.
« Cette maison est faite pour protéger toute femme, ou fille sortant vivante de la forêt. J'aurais pensé que l'on te l'aurait dit, après ton départ de chez nous, mais tu sembles avoir oublié tout ça. »
Je n'arrivais pas à croire ce que j'entendais, comment cela ? Je ne me souvenais pas de quoi ? Je n'étais jamais venue ici ! Et puis, personne ne sortait de la forêt, c'était impossible... mais, cette femme, Élise... ça voudrait dire qu'elle avait été confrontée à la bête dans la forêt, d'où sa cicatrice... Mais non, c'était impossible.
« Mes espoirs étaient donc vains, moi qui espérait que tu revenais vivre avec nous. Puisque tu sembles l'avoir oublié, tu as vécu ici durant plusieurs semaines après ton escapade en forêt. Mais tes parents ont refusés que tu restes ici et t'ont reprise avec eux. »
Mes... parents ? Décidemment, je ne comprenais plus rien du tout. Personne ne m'avait jamais parlé de cet endroit, ce à quoi il servait. Pourquoi ? Et pourquoi m'en retirée ? Et pourquoi je ne m'en souvenais plus ?
« Maintenant, je supposes que tu as d'autres questions, alors vas-y, je n'ai pas toute la journée. »
Sa voix avait changée, elle était dure et autoritaire, tout sourire avait déserté son visage.
« Je voulais savoir... Si vous saviez où était allée la sorcière ?
- La sorcière ? Elle est partie à l'est, c'est tout ce que je sais. Quoi d'autre ?
- Hé bien.. Il y a une pierre à l'entrée de la forêt, avec des signes dessus. Qu'est-ce qu'ils signifient ? »
La doyenne me fixa avec dureté, comme si je venais de proféré des mensonges.
« Je n'en sais rien du tout, je ne savais même pas que cette pierre existait. Tu es sûre de ce que tu dis ?
- Je.. oui... enfin, ce n'est pas important. Quand... Ma sœur est venue vous voir, que voulait-elle ?
- Laëlys ?... Elle voulait seulement voir un livre, que l'on a pas retrouvé après son départ. Autre chose ?
- Heu.. non, je ne crois pas.
- Bon, alors vas t-en... si tu trouves la sortie bien sûr. »
J'avais à peine entendu ses derniers mots, mais ils me glacèrent le sang. Sans demandé mon reste me suis levée et lui ait tourné le dos. J'ai senti son regard qui ne me quittait pas et suis sortie de la pièce précipitamment. Une fois dans le couloir je faillis pleurer d'incompréhension et de peur. Mon esprit était embrouillé, l'univers entier semblait s'écrouler autour de moi. J'ai commencé à courir dans les couloirs, à la recherche de la sortie, prise de panique. Les derniers mots d'Olis résonnaient en moi comme une sentence. Trouver la sortie, trouver la sortie... Je ne sais pas combien de temps j'ai couru, tournant en rond. Les couloirs n'en finissaient pas de défiler sous mes yeux, mon cœur s'emballait, tous les couloirs étaient identiques, aucun moyen de s'y retrouver. Finirais-je un jour par trouver la sortie ? Plus le temps passait, plus cette certitude se perdait, je n'y arriverais pas, s'en était fini de moi... Je n'avais rien découvert de plus, je n'avais fait qu'apporter de nouvelles questions aux autres.
Et puis finalement, on m'attrapa la main, m'arrêtant dans ma course. Je hurlais et me débattais, mais l'emprise se desserra.
« Chut ! Arrêtes de gigoter un peu ! »
Étonnée, j'ai levé les yeux vers la femme, Élise.
Soulagée, j'ai éclaté en sanglots. Elle me prit la tête dans ses mains délicates et me sourit tristement.
« Allez, ça va aller ne t'en fais pas, je vais t'amener à la sortir, mais ne fais pas un bruit et ne dit rien. »
J'ai acquiescé avec soulagement et ai arrêté mes pleurs. Je l'aie suivit dans les couloirs, tous identiques, il n'y avait aucune fenêtre nul part. Nous avons longuement marché et j'ai enfin reconnu la porte d'entrée. J'ai entendu une voix crié derrière nous, je n'ai pas compris ce qu'elle disait. Élise s'est tournée vers moi.
« Cours au bout du couloir et sors. Allez ! »
Je l'ai écoutée et j'ai couru. J'ai ouvert la porte et me suis retournée. Elle m'a regardée avec un sourire. Il y eut un nouveau cri et j'ai refermé la porte et ait couru le plus loin possible. La maison était en retrait du reste du village, je voyais les maisons au loin, elle me semblait si lointaines... À force de courir comme une dératée je suis tombée dans l'herbe, le souffle coupé je suis restée à terre un moment, les mains au sol. Et puis je me suis retournée vers la maison, une larme coula sur ma joue.
Élise.
5. Pourquoi ?
Je n'en pouvais plus d'y penser. Cette maison était maudite, plus jamais je n'y retournerais, ça non ! Mais il fallait que je saches... qui était cette petite fille, cette vieille femme, Élise, que cachait cette maison ? Il fallait que j'y retourne, je n'aurais pas dû fuir ! Mais j'avais si peur... je ne pouvais me résoudre à y retourner, je n'en sortirais peut-être pas une deuxième fois. Courir le risque ? Non... du moins pas pour le moment. Après m'être enfuie, j'étais rentrée chez moi, sous le regard étonné de ma mère qui ne s'attendait pas à me voir aussi essoufflée. Je n'avais rien dit et étais monté dans ma chambre, où j'étais à présent. Le monde avait perdu son sens, tout arrivait trop vite, mon esprit ne pouvait pas supporter un tel choc. C'en était trop pour que j'arrive à réfléchir, mais il ne fallait pas que je me laisse abattre. Avant d'entrer dans cette maison, j'aurais encore pu abandonné mais à présent, ce n'était plus possible. Plus je restais seule dans cette chambre, les yeux rivés vers le lit de ma sœur, plus ma haine grandissait. Mes parents me cachaient des choses, j'en étais certaine. Ils me devaient la vérité. Je portais encore mon manteau, je l'ai retiré avec rage et l'ai envoyé boulé à l'autre bout de la petite pièce. C'en est fini des secrets, il y en avait assez ! Sans même réfléchir, j'ai dévalé les marches pour me rendre au salon où mes parents me jetèrent un regard étonné en voyant mes cheveux ébouriffés, mes larmes et ma colère. Je les détestaient de me regarder comme ça ! Tout ça était leur faute, s'ils me disaient la vérité depuis le début, je n'en serais pas là !
« On peut savoir pourquoi vous m'avez retirée de la maison des doyennes ? Pourquoi vous ne m'en avez jamais parlé ? Pourquoi me dire que j'avais été dans la forêt ne vous est jamais venu à l'esprit ?! »
Je hurlais, envoyant toute la haine que je contenais hors de moi. Je n'en pouvais plus de me taire, de les voir m'éviter avec leurs regards vides ! J'étais encore vivante moi, alors pourquoi ne parlaient-ils que de Laëlys ? Ils ne me voyaient donc pas, là, devant eux ? Je n'étais pas un fantôme pourtant, Laëlys, si ! Ne voyaient-ils plus que les fantômes ?
Ils me regardaient, étonnés. Je voyais bien qu'ils ne s'y attendaient pas, mais est-ce que je m'y étais attendue moi peut-être ?
« Naraya... C'est compliqué... »
Mes yeux s'enflammèrent, ils pensaient peut-être que je n'avais pas remarqué ?
« Je me fiche que ce soit compliqué, je veux la vérité rien d'autre ! »
Je ne pouvais pas m'empêcher de hurlée comme une démente, mais c'en était trop pour moi, il fallait que ça sorte. Mon père m'invita à venir m'asseoir avec eux mais je ne bougeais pas, je restais dans les escaliers, il était hors de question que je m'approche d'eux.
Je voyais qu'ils se consultaient du regard, préparaient-ils d'autres mensonges ? Ils n'avaient pas intérêt. Et puis finalement, mon père se décida à parler, d'une voix calme mais légèrement triste. Je m'en voulais de les faire souffrir ainsi, mais je n'avais plus le choix. Devenais-je folle à mon tour ?
« Les doyennes... Ne sont pas ce que les gens croient. Nous leur faisions confiance, lorsqu'elles ont proposées de te prendre avec elles... Nous avons d'abord accepté, l'étonnement de te voir sortir de la forêt avait été intense, nous ne savions pas vraiment quoi faire après cela... vivre normalement nous semblait impossible. Alors nous les avons laissées te prendre, pensant que ce serait la meilleure solution. Mais les jours ont passés, et on ne te voyait jamais, tu ne sortais pas et nous souffrions de ton absence. Un jour, nous avons décidé d'aller te rendre visite. Nous nous sommes rendus à la maison des doyennes, heureux de partir te retrouvée. Au départ, quand Olis nous a accueillis, elle ne voulais pas que nous te voyions, alors nous avons insisté, trouvant cela de plus en plus étrange... Alors... Elle t'a fait venir... Nous... Nous t'avons regardé, pleins d'horreur... Tu avais changée, tes yeux devenaient noirs... tu... tu avais la racine des cheveux noire elle aussi... Tu portais des traces de blessures dans le dos... Nous n'avons pas supporté cette vue, nous t'avons prise avec nous et nous sommes enfuis. Nous n'avons plus jamais mis les pieds là-bas, tu avais tout oublié, tu ne te souvenais de rien... Nous avons préféré que ces mauvais souvenirs ne te reviennent jamais, tu comprends ? »
Au fur et à mesure qu'il avait parlé, sa voix s'était faite de plus en plus rauque, et moi, je m'étais peu à peu affaissée dans les escaliers, pour finir assise sur les marches. Ça ne pouvait pas être vrai, tout ça, toutes ces horreurs... Je me suis mise à pleurer, ce n'était pas vrai, non, c'était trop dur à entendre. Les doyennes étaient les gardiennes du village, les guides, depuis toujours... Je ne pouvais y croire. Alors j'ai pleuré, la tête dans mes bras, j'ai pleuré toutes les larmes de mon corps, pleine d'horreur et d'incompréhension.
*
* *
Je ne me souviens plus tellement de ce qui se passa ensuite, il me semble que mon père m'a portée dans mon lit, j'étais si fatiguée par les émotions que je m'étais endormie dans mes pleurs. Je n'y comprenais vraiment plus rien. À mon réveil, j'ai presque cru que j'avais rêvé, et puis je me suis levée. Ça ne pouvait qu'être vrai, j'avais encore des cicatrices dans le dos, on m'avait fait croire toutes ces années que j'avais eu un accident dans la scierie, que mes cicatrices venaient de là. Je les ais effleurées du bout des doigts, vérifiant qu'elles étaient bien réelles. Elles l'étaient. Je suis resté assise sur mon lit, je me sentais vidée. J'avais envie d'oublier toutes ces choses, mais je ne pouvais pas. J'avais peur de me souvenir de ces moments chez les doyennes, qui voudraient retrouvés de tels souvenirs ? Mais je ne savais même pas ce qu'elles m'avaient vraiment fait, alors se souvenir pourrait servir... Mais il n'y avait pas lieu d'y penser, puisque de toute manière je ne m'en souvenais pas. La peur faisait maintenant partie de moi, je savais qu'il ne se passerait pas un seul instant où je pourrais me sentir tranquille. Que me voulaient ces folles ? Mes pensées divaguaient, je repensais à la petite fille, Maëlle, et à Élise. Il fallait se porter à leur secours, faire quelque chose avant qu'il ne soit trop tard. Mais je n'étais pas assez courageuse ni même assez forte pour faire quoi que ce soit... C'était pire que tout, savoir qu'on ne peut rien y faire... Ce village était corrompu, il y avait quelque chose de malsain en lui... tout ces morts, ces secrets, est-ce une vie que de vivre ici ? Pourquoi les femmes ne partaient-elle pas au lieu d'attendre la mort ? Combien étaient sorties de la forêt ? La bête, qui était-elle ? Et si elle n'était pas réelle ? Et si... Trop. Trop de questions sans réponses, je deviens folle. Est-ce que Laëlys était devenue folle de la même manière ? Allais-je commettre une folie ? Le noir m'enveloppe, je ne sais plus à quoi réfléchir, la vie s'effiloche. Je divague. J'ouvre les yeux, les referme, je ne vois presque plus rien, ne comprends rien. J'ai froid, je tremble, et j'ai chaud, je brûle. Que m'arrive t-il ? Vais-je mourir ? Est-ce un sort ? Je hurle, je pleure, je ne suis pas sûre qu'un seul son sorte véritablement de ma bouche, mais je suppose que oui, car j'entends quelqu'un accourir, parler. Je sens qu'on m'allonge de nouveau, on me couvre d'une couverture. Je sens un linge mouillé sur mon front, je ne comprends pas. Je vois Maëlle, je vois Élise et Olis, Laëlys aussi... Vais-je mourir, sont-elles là pour m'accueillir ? Ou est-ce comme cela que se manifeste la folie ? J'essaye de réfléchir mais ma tête me fait mal. Je sombre.
*
* *
J'ouvre les yeux avec peine. Il m'a semblé me réveillée de plusieurs années de coma. Le soleil matinal entre dans ma chambre avec clarté, par ma fenêtre ouverte. Tout me semble rayonner. Je sens qu'il y a quelqu'un près de moi, je tourne la tête avec difficulté. Un homme. Le grand prêtre. Il faisait aussi office de guérisseur, je me souviens. Et puis je me rappelle que je voulais lui parler, mais je n'en avais pas encore la force. Il me regarda tristement et eu un sourire. C'était un homme d'une quarantaine d'années, les cheveux bruns parsemés de blanc, un visage simple et avenant avec une légère barbe et des yeux d'un bleu glaçant.
« On peut dire que tu as eu une bonne fièvre, comment te sens-tu ? »
Je le regarde. Une fièvre ? Violente cette fièvre, je ne me rappelais pas en avoir eu de pareilles auparavant.
« Je crois que... ça va. »
- Tant mieux, on s'est beaucoup inquiétés tu sais. Cette fièvre était pour le moins... Foudroyante.
- Dites-moi... Il me semble... que Laëlys est venue vous voir avant... »
Il me semble que ma voix est pâteuse, les mots ont du mal à sortir. Il tourne vers moi un regard étrange, un peu étonné.
« Hé bien, oui, elle est venue me voir. »
Il semble hésiter, ma curiosité augmente.
« Que voulait-elle ?
- Elle... Voulait me parler, se confesser.
- De quoi donc ?
- Je serais un bien mauvais prêtre si je te le disais, Kalys ne le permettrait pas. »
Kalys était notre dieu. On le représentait souvent avec un double visage, moitié homme moitié femme, assis dans une fleur de jusquiame, tenant dans ses mains des poignards et des roses. Je regrettais que le prêtre ait raison, on ne doit révéler une confession, même après la mort de la personne concernée. Je fis une grimace, je ne saurais pas. Seulement, il fallait que je saches.
« Et notre dieu ne voudrait pas que je saches la vérité sur ma propre sœur ? N'est-il pas le donneur de vérité ? »
Le regard du prêtre changea, j'avais touché juste.
« Certes, tu as raison, mais je ne pense pas que ce qu'elle ait pu me dire t'intéresse.
- Et moi je veux savoir.
- Tu es têtue... Elle m'a seulement parlé de sa relation avec le jeune homme, Theib. Rien d'autre. »
Je tiquais, avait-elle confessé ses mensonges ?
« Qu'a-t-elle dit à ce propos ?
- Je ne peux te le dire, désolée. Mais ne t'en fais pas, rien de grave, des problèmes d'amants, rien d'autre. »
Je baisse les yeux, un peu déçue. J'ai encore mal à la tête. Le prêtre se lève, il a l'air triste et gêné. Il se dirige vers la porte, avec sa longue tunique marron. Il ouvre, hésite. Il se retourne vers moi.
« Laisses les morts où ils sont Naraya, c'est mieux pour tout le monde. »
Sur ces derniers mots, il sort, me laissant seule avec mes doutes. Que voulait-il dire par là ? De ne pas chercher la vérité ? Je fermais les yeux, ma tête me faisait souffrir et mes jambes ne m'appartenaient plus.
Je m'endormis dans un sommeil troublé.